La Barillette, 3 septembre 2020
On se promène lentement dans les champs près de la Barillette, un sommet du Jura Vaudois, à plus de 1500m d’altitude. Elle semble très heureuse là-haut, plus que là-bas, dans son petit appartement à Nyon.
Cette année j’ai commencé à rendre visite à Mme J. : je travaille comme bénévole pour Pro Senectute (une organisation pour le bien-être matériel, physique et moral des personnes en âge AVS), pour l’aider ét pour améliorer mon français.
‘Je voudrais que mes enfants dispersent mes cendres ici.’
C’était Mme J. qui m’a proposé de monter ensemble avec ma voiture. Les montagnes lui manquent beaucoup. Elle y travaillait il y a vingt ans, elle a une licence en science de la nature.
Elle me montre l’univers des plantes alpines sauvages, comme ‘Carline acaule’. Elle en cueille une pour moi en me disant que je peux la manger. Ça a le gout d’un artichaut.
‘On a de la chance,’ elle me dit, ‘dans trois semaines la neige tombera ici’.
Nyon, 6 octobre
Elle cherche quelqu’un pour enregistrer l’histoire de sa vie. Peut-être pour un récit de vie, un témoignage pour ses deux enfants.
Je lui ai offert de l’enregistrer. Une fois écrivain, toujours écrivain.
Née en 1944 à Martin en Slovaquie, pendant la Seconde Guerre mondiale, sa mère Eva en train de fuir les Allemands, J. a passé sa première année de sa vie dans un cave. Une grande partie de sa famille : les parents d’Eva, quelques-uns de ses frères et sœurs, déjà déportés et exterminés, entre autres à Auschwitz. Mme J. rêve toujours que les soldats viendront la chercher.
Après la guerre J. vit avec sa mère, son beau-père et son petit frère à Istvanova (ou Stefanova) dans un appartement d’un des amis de son beau-père. Istvanova est un tout petit village dans les montagnes.
‘J’ai l’impression que c’était la période de mon enfance la plus heureuse, c’était la liberté totale,’ elle dit.
En 1968, après ses études à l’université de Brno, elle avait 24 ans et travaillait comme jeune au pair à Edinborough en Ecosse pour apprendre l’anglais. À cause de la fin du Printemps de Prague, ce n’était pas possible de rentrer à la maison et elle avait fui encore une fois, en Suisse, où elle habite encore aujourd’hui.
(photo avec sa permission)
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